Louise avait 10 ans dans le roman « Au revoir là-haut« . Vingt ans plus tard, en 1940, c’est une trentenaire qui cède à l’étrange requête d’un docteur habitué du bistrot dans lequel elle travaille. Il veut la voir nue contre 10’000 francs. Elle accepte et sa vie va s’en trouver bouleversée. Ainsi débute « Miroir de nos peines » de Pierre Lemaitre,

Des faits réels:

« Pour être romancier, il faut de la chance ainsi que des lunettes particulières qui vont chercher dans les coins. Elles vont me livrer des petits faits divers qui doivent allier deux caractéristiques: la rareté du fait et une belle promesse d’histoire romanesque« ,
Plusieurs pages sont consacrées à l’exode pénitentiaire de 1940. D’autres aux trois à quatre milliards de francs de la Banque de France brûlés par des éboueurs payés 1000 francs par mois, pour éviter que les Allemands ne s’en emparent en arrivant à Paris.

Contrer les connaissances historiques

 « Le lecteur a tendance à lire le livre en connaissant déjà la fin. Cela vous prive de l’effet de surprise dont vous auriez besoin pour accompagner vos personnages. Il faut essayer de combattre la mémoire du lecteur et de lui faire oublier ce qu’il sait. Moi, j’essaie d’enfermer le lecteur dans la stratégie des personnages pour qu’il vive avec eux l’actualité du moment plutôt que l’histoire dont il connaît déjà la fin ».

C’est un travail permanent d’avoir des lignes narratives et des personnages suffisamment puissants pour emmener le lecteur sur leurs territoires et l’empêcher de voir l’horizon dont il connaît d’une certaine manière la couleur.

Pierre Lemaitre

Pour modeler chacun de ses personnages, Pierre Lemaitre s’identifie complètement à chacun d’entre eux au moment où il les met en scène. Une stratégie « assez coûteuse parce qu’elle nécessite un investissement cognitif et psycho-affectif assez intense« . Le personnage pivot de « Miroir de nos peines« , c’est Louise, qui accède dans cet troisième ouvrage au statut de personnage principal. C’est son histoire et le secret de famille sur son origine, qu’elle découvre au début du roman, qui va piloter l’ensemble de l’intrigue. Louise va mettre en mouvement tous les autres personnages et représenter cette génération sacrifiée de l’entre-deux-guerres (les fameux « Enfants du désastre ») qui a souffert du premier conflit mondial et qui subira également le deuxième. Et dont les grands perdants sont les femmes.

Les outils du polar

Cynisme, ironie, humour noir, l’écrivain fait usage dans sa trilogie des techniques issues du polar. « C’est que je ne sais pas faire autrement ! Mes outils ont été forgés dans mon passé littéraire: le suspense, les indices, la surprise, etc…. Aujourd’hui, je rédige mes romans d’aventures avec ces mêmes outils. Peut-être que c’est ce mélange-là qui forme la particularité de mes romans » avance Pierre Lemaitre. Une singularité soulignée sans doute par ses personnages, qui échappent à une certaine normalité. « Oui, ils ont tous un grain, mais c’est l’histoire qui le leur amène. Ce sont des gens assez ordinaires à qui il arrive des choses extraordinaires. Et leur manière de réagir, c’est de sortir d’eux-mêmes ».

Métaphore d’aujourd’hui

En ces quelques jours de mai 1940 en France, le monde s’écroule et avec lui les certitudes, les valeurs, les illusions. Chacun est alors avant tout mû par ses terreurs. Un miroir de nos peines contemporaines? Plutôt des maux qui nous attendent. « C’était mon pari de penser que cette période de 1940 pouvait constituer une métaphore d’aujourd’hui. Nous vivons une période de crise dont l’avenir est très incertain. Nos certitudes, la croissance, le progrès, s’écroulent devant les menaces que font peser sur nous le réchauffement climatique et le système écologique, ce modèle que nous sommes incapables de renouveler. Nous avons tendance à nous replier sur nous-même. Cette défiance de l’étranger, cette haine de l’autre montrent une frilosité qui est due à la menace. Je crois que l’on se trouve aujourd’hui, à peu près, dans les mêmes circonstances que les héros de mon roman. »

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Pour continuer cet échange, RTS

Je ne me lasse pas de l’écriture de Pierre Lemaitre. J’entre dans le livre et je vois le film qui sy déroule. Je suis capable de reconnaitre les personnages si je les croise dans la rue. C’est tout à fait admirable.
Ce qui me plait c’est la pointe d’ optimiste. Bien que je comprenne pourquoi, Au revoir là-haut est si dur. Néanmoins,  vu la société, le monde dans lequel nous vivons, j’apprécie un livre qui donne de l’espoir en l’humanité.

Claudia